Prof. Marc Emeritus Head Researcher, National Center for Scientific Research, Arab and Mediterranean Studies Dept, University of Tours (France)
Sous la guerre entre généraux affleurent les divisions du Soudan
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Derrière la sanglante lutte entre deux généraux au Soudan se joue aussi la compétition entre des populations qui monopolisent historiquement le pouvoir et les ressources, et les composantes les plus marginalisées de cette mosaïque ethnique, selon des spécialistes.
Selim SAHEB ETTABA Agence France-Presse
Entre le général Abdel Fattah al-Burhane et le général Mohamed Hamdane Daglo, le contraste est manifeste.
Le premier est un militaire de carrière sans éclat, né au nord de Khartoum. Le second, commandant haut en couleur des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), est apparu comme chef de milice du Darfour, dans l’ouest frontalier du Tchad, et est moqué dans la capitale pour son accent provincial.
« La société politique soudanaise est centrée sur la vallée du Nil », souligne Marc Lavergne, spécialiste de la Corne de l’Afrique et du Moyen-Orient.
« Cette guerre est aussi le résultat du bouleversement économique et social que connaît le Soudan, et dont aucun gouvernement de Khartoum ne s’est préoccupé puisqu’il y a cette dichotomie entre la vallée du Nil, Khartoum, le “Soudan utile” dont parlaient les Anglais » et le reste du pays, explique-t-il à l’AFP.
« Lignes de fracture »
« Mais aujourd’hui ce sont ces régions périphériques qui sont les plus riches en potentiel », poursuit-il, en référence notamment aux mines d’or du Darfour à partir desquelles le général Daglo, surnommé « Hemedti », a bâti un empire économique et commercial.
Grâce à ces richesses, « les FSR ne sont plus une milice de fortune, mais une force de combat efficace et bien entraînée qui peut concurrencer l’armée soudanaise militairement et représente maintenant une menace pour ses ambitions politiques et économiques », résume dans une note publiée lundi le centre de recherche Rift Valley Institute, basé au Soudan.
« Le conflit actuel constitue une bataille entre l’élite militaropolitique établie du centre du pays et une élite militarisée émergente du Darfour pour le contrôle de l’État et une nouvelle phase de la lutte entre le centre et la périphérie », ajoute-t-il.
« Il y a beaucoup de lignes de fracture » entre les deux camps, indique Kholood Khair, fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory, basé à Khartoum, « Hemedti étant ainsi décrit comme un intrus venu du Darfour dans un Khartoum plus cosmopolite ».
« Avant le conflit, les FSR parvenaient à faire passer le discours selon lequel elles se battaient pour la démocratie, et pour le compte de toutes les populations marginalisées du Soudan », précise-t-elle.
Elle évoque également le recrutement massif par « Hemedti, un des meilleurs employeurs du pays » grâce à sa fortune, dans des régions « historiquement marginalisées par Khartoum ».
Exactions et pertes
« Une fois que la guerre a éclaté, ce discours est devenu plus difficile à tenir parce que ses troupes sont bien moins disciplinées que l’armée », estime Kholood Khair.
« Elles ne suivent pas toujours les ordres et ont créé beaucoup de troubles pour les habitants de Khartoum », où les récits d’occupations de logements, de pillages et autres exactions se multiplient.
Dans ce pays profondément métissé, au confluent de mouvements de populations et marqué jusqu’à une époque récente par des siècles d’esclavage, le pouvoir central a longtemps exploité les inégalités liées à la pigmentation de la peau des habitants de la périphérie, notamment du Sud qui a fait sécession en 2011, afin de diviser pour régner.
« Jusqu’à ce jour, les Soudanais ont un nuancier de la couleur de peau qui va du rouge et du brun en passant par le vert et le jaune, jusqu’au “bleu” – les populations du Sud les plus foncées, encore couramment appelées “abid”, c’est-à-dire esclaves », rappelle Alex de Waal, spécialiste du Soudan, dans la London Review of Books.
Mais ce critère apparaît peu prégnant dans le conflit actuel, selon les experts, bien moins que les solidarités et affiliations tribales sur lesquelles se forment les nombreuses milices présentes à travers le pays, un facteur dont l’importance risque d’augmenter au fil de la prolongation des combats.
« À fur et à mesure de leurs pertes, les deux camps devront recruter de nouvelles troupes », prévoit Kholood Khair.
« Et la meilleure manière de recruter au Soudan est historiquement de le faire par les allégeances ethniques ».
http://marclavergne.unblog.fr/
https://www.univ-tours.fr/annuaire/m-marc-lavergne
https://www.radiofrance.fr/personnes/marc-lavergne
https://www.jean-jaures.org/expert/marc-lavergne/
https://igsda.org/?page_id=1329
https://www.alroeya.com/author/3263/